Fraternité Magnificat

Le «Magnificat» de l’Eglise en marche

Dans la phase actuelle de sa marche, l’Eglise cherche donc à retrouver l’unité de ceux qui professent la foi au Christ, afin de faire preuve d’obéissance à son Seigneur qui, avant sa passion, a prié pour cette unité. Elle « avance dans son pèlerinage…, annonçant la Croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne 87 ». «Marchant à travers les tentations, les tribulations, I’Eglise est soutenue par la force de la grâce de Dieu, à elle promise par le Seigneur pour que, du fait de son infirmité charnelle, elle ne manque pas à la perfection de sa fidélité mais reste de son Seigneur la digne Epouse, se renouvelant sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la Croix, elle arrive à la lumière sans couchant 88».

l’Eglise en marche

La Vierge Mère est constamment présente dans ce cheminement de foi du Peuple de Dieu vers la lumière. Nous en avons pour témoignage particulier le cantique du « Magnificat » qui, jailli des profondeurs de la foi de Marie lors de la Visitation, ne cesse de résonner dans le cœur de l’Eglise à travers les siècles. Il est en effet répété quotidiennement dans la liturgie des Vêpres et dans bien d’autres actes de piété personnelle et communautaire.

« Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais, tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Sa Miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël, son serviteur,
il se souvient de Sa Miséricorde,
de la promesse faite à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1, 46-55).

Quand Elisabeth salua sa jeune parente qui arrivait de Nazareth, Marie lui répondit par le Magnificat. En saluant Marie, Elisabeth avait commencé par l’appeler «bénie», à cause du « fruit de son sein », puis « bienheureuse » en raison de sa foi (cf. Lc 1, 42. 45). Ces deux bénédictions se référaient directement au moment de l’Annonciation. Or, à la Visitation, lorsque la salutation d’Elisabeth rend témoignage à ce moment primordial, la foi de Marie devient encore plus consciente et trouve une nouvelle expression. Ce qui, lors de l’Annonciation, restait caché dans les profondeurs de l’« obéissance de la foi », se libère maintenant, dirait-on, comme une flamme claire, vivifiante, de l’esprit. Les expressions utilisées par Marie au seuil de la maison d’Elisabeth constituent une profession de foi inspirée, dans laquelle la réponse à la parole de la Révélation s’exprime par l’élévation spirituelle et poétique de tout son être vers Dieu. Dans ces expressions sublimes, qui sont à la fois très simples et pleinement inspirées par les textes sacrés du peuple d’Israël 89, transparaît l’expérience personnelle de Marie, l’extase de son cœur. En elles resplendit un rayon du mystère de Dieu, la gloire de sa sainteté ineffable, l’éternel amour qui, comme un don irrévocable, entre dans l’histoire de l’homme.

Visitation

Marie est la première à participer à cette nouvelle révélation de Dieu et, en elle, à ce nouveau don que Dieu fait de lui-même. C’est pourquoi elle proclame: «Il a fait pour moi des merveilles ; Saint est son nom». Ses paroles reflètent la joie de l’esprit, difficile à exprimer: «Exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur». Car « la profonde vérité … sur Dieu et sur le salut de l’homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation90 ». Dans l’exultation de son cœur, Marie proclame qu’elle s’est trouvée au centre même de cette plénitude du Christ. En elle s’est accomplie, elle en a bien conscience, la promesse faite à nos pères, et avant tout « en faveur d’Abraham et de sa race, à jamais » ; et donc vers elle, comme Mère du Christ, s’oriente toute l’économie du salut, dans laquelle, « d’âge en âge », se manifeste le Dieu de l’Alliance, celui qui «se souvient de son amour».

L’Eglise, qui depuis le commencement règle son cheminement terrestre sur celui de la Mère de Dieu, répète constamment à sa suite les paroles du Magnificat. Au plus profond de la foi de la Vierge à l’Annonciation et à la Visitation, elle puise la vérité sur le Dieu de l’Alliance, sur le Dieu qui est tout-puissant et fait « des merveilles » pour l’homme : « Saint est son nom ». Dans le Magnificat, elle voit écrasé jusqu’à la racine le péché situé au début de l’histoire terrestre de l’homme et de la femme, le péché d’incrédulité et du « peu de foi» envers Dieu. Contre le « soupçon » que le « père du mensonge » a fait naître dans le cœur d’Eve, la première femme, Marie, que la tradition a l’habitude d’appeler la « nouvelle Eve 91 », la vraie « mère des vivants92 », proclame avec force la vérité non voilée sur Dieu, le Dieu saint et tout-puissant qui, depuis le commencement, est la source de tout don, celui qui «a fait des merveilles». En créant, Dieu donne l’existence à toute la réalité. En créant l’homme, il lui donne la dignité de l’image et de la ressemblance avec lui d’une façon singulière par rapport à toutes les créatures terrestres. Et loin de s’arrêter dans sa volonté de libéralité, malgré le péché de l’homme, Dieu se donne en son Fils: il « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Marie est le premier témoin de cette merveilleuse vérité, qui se réalisera pleinement par les actions et l’enseignement (cf. Ac 1, 1) de son Fils, et définitivement par sa Croix et sa Résurrection.

L’Eglise, qui, malgré « les tentations et les tribulations », ne cesse de répéter avec Marie les paroles du Magnificat, « est soutenue » par la puissance de la vérité sur Dieu, proclamée alors avec une simplicité si extraordinaire, et, en même temps, par cette vérité sur Dieu, elle désire éclairer les chemins ardus et parfois entrecroisés de l’existence terrestre des hommes. La marche de l’Eglise, en cette fin du second millénaire du christianisme, implique donc un effort renouvelé de fidélité à sa mission. A la suite de celui qui a dit de lui-même: « [Dieu] m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvre s» (cf. Lc 4, 18), l’Eglise s’est efforcée d’âge en âge et s’efforce encore aujourd’hui d’accomplir cette même mission.

Pauvres article Eglise en marche

Son amour préférentiel pour les pauvres est admirablement inscrit dans le Magnificat de Marie. Le Dieu de l’Alliance, chanté par la Vierge de Nazareth dans l’exultation de son esprit, est en même temps celui qui « renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles…. comble de biens les affamés, et renvoie les riches les mains vides…, disperse les superbes et étend son amour sur ceux qui le craignent ». Marie est profondément marquée par l’esprit des « pauvres de Yahvé » qui, selon la prière des psaumes, attendaient de Dieu leur salut et mettaient en lui toute leur confiance (cf. Ps 25; 31; 35; 55). Elle proclame en réalité l’avènement du mystère du salut, la venue du « Messie des pauvres » (cf. Is 11, 4; 61, 1). En puisant dans le cœur de Marie, dans la profondeur de sa foi exprimée par les paroles du Magnificat, l’Eglise prend toujours mieux conscience de ceci : on ne peut séparer la vérité sur Dieu qui sauve, sur Dieu qui est source de tout don, de la manifestation de son amour préférentiel pour les pauvres et les humbles, amour qui, chanté dans le Magnificat, se trouve ensuite exprimé dans les paroles et les actions de Jésus.

L’Eglise sait donc bien – et à notre époque, une telle certitude se renforce d’une manière particulière – que non seulement on ne peut séparer ces deux éléments du message contenu dans le Magnificat, mais que l’on doit également sauvegarder soigneusement l’importance qu’ont dans la parole du Dieu vivant « les pauvres » et « l’option en faveur des pauvres ». Il s’agit là de thèmes et de problèmes organiquement connexes avec le sens chrétien de la liberté et de la libération. « Totalement dépendante de Dieu et tout orientée vers Lui par l’élan de sa foi, Marie est, aux côtés de son Fils, I’icône la plus parfaite de la liberté et de la libération de l’humanité et du cosmos. C’est vers elle que l’Eglise, dont elle est la Mère et le modèle, doit regarder pour comprendre dans son intégralité le sens de sa mission ».

Jean-Paul II -  La Mère du Rédempteur, n° 12 § 35-37


87 : Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n. 8
88 : Ibid., n. 9
89 : Comme on le sait, les paroles du Magnificat contiennent ou évoquent de nombreux passages de l’Ancien Testament
90 : Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation Divine Dei Verbum, n. 2
91 : Cf. par exemple S. Justin, Dialogue avec Tryphon, 100 : Otto II, 358, S. Irénée, Contre les hérésies III, 22, 4 : S.C. 211, 439-445 ; Tertullien, De Carne Christi, 17, 4-6 : CCL 2, 904-905
92 : Cf. S. Epiphane, Panarion, II, 2, Hér. 78, 18 : PG 42,727-730